photo de groupe au bord du fleuve
lecture incontournable, lecteur(-trice)
Photo de groupe au bord du fleuve
d'Emmanuel Dongala
Editeur : Actes Sud
Publication : 7/4/2010
« Même si aujourd’hui vous êtes logées à la même enseigne,
chacune y a échoué en empruntant la route particulière de sa souffrance »
Au bord du fleuve, un groupe de femmes congolaises concassent des blocs de pierre et remplissent des sacs de gravier à longueur de journée.
Accablées par la misère, la détresse, l'injustice, le machisme esclavagiste, la corruption, elles entament une quête de leurs droits, et du bonheur.
L'auteur nous entraîne dans leur lutte pour la dignité; et grâce à Méréa qu'elles ont choisie comme porte-parole, nous entrons dans leurs drames passés.
Des femmes attachantes, dignes, solidaires, des récits poignants et dramatiques, hélas véridiques.
Né en 1941, Emmanuel Dongala, est un écrivain congolais vivant aux Etats-Unis depuis 1997. Il y enseigne la littérature francophone et la chimie. Il est aussi connu pour Johnny Chien Méchant, son ouvrage le plus célèbre, qui dépeint de manière crue et cynique la tragédie des enfants soldats.
Exilé en Amérique après le début des conflits
qui frappent son pays à la fin des années 1990,
l'écrivain porte un regard désenchanté
mais non dénué d'humour sur l'Afrique.
Extrait chapitre 7 page 74
« Vous ne vous attendiez pas du tout à ce que la riposte soit aussi rapide et brutale. Mis en déroute à onze heures, ces acheteurs de pierre sont revenus en force moins de deux heures plus tard, au moment même où vous vous apprêtiez à quitter le chantier. Seulement cette fois-ci ils ne sont pas venus seuls mais accompagnés d’un commando armé. Bien que surprise, tu n’es pas étonnée outre mesure puisque la plupart de ces camions appartenaient aux gros pontes du régime en place qui se cachaient derrière des parents anonymes pour faire des affaires souvent louches. Pour eux, mobiliser la police pour défendre leur bien privé est tout à fait normal.
Ce n’est pas une simple force de police qui débarque mais une police militarisée, pour tout dire une véritable milice armée venue, semble-t-il, pour affronter une bande de dangereux malfrats.
Ils sont une douzaine de policiers qui sautent immédiatement des cars grillagés avec casques, matraques, fusils et tout. Leur chef porte un pistolet à la ceinture. Il parade avec les insignes de son grade mais ne connaissant rien aux grades de l’armée, tu décides de lui donner celui de colonel. Il avance, accompagné de trois ou quatre rescapés de la bataille du matin. L’un d’eux est l’homme aux lunettes noires mis K.-O. par Moukiétou, une bande de gaze entourant sa tête comme un turban ; il n’y a pas à chercher, il est très en colère. D’autres portent des sparadraps collés ici et là, et tu en aperçois même un qui marche avec une béquille, faite d’un tronc de bambou. Ils vous fichent vraiment la pétoche.
Quelques femmes ramassent des cailloux qu’elles serrent dans leur poing, prêtes à les lancer mais tu interviens immédiatement en leur demandant de les laisser tomber, car cette bande armée dite « forces de l’ordre » ne cherche qu’un prétexte pour vous massacrer impunément. Tu prends ton courage à deux mains, tu avances de quelques pas puis tu t’arrêtes pour les laisser venir vers toi. C’est à eux de venir vers toi car c’est ton territoire. Quand il voit les autres se ranger derrière toi, le chef des soldats, le colonel, qui jusque-là ne savait pas à qui s’adresser, comprend immédiatement que tu es la chef et, te pointant du doigt, laisse éclater sa colère : « Je devrais vous coffrer toutes, bande d’idiotes, pour coups et blessures volontaires sur des tiers. Agresser des commerçants qui ne veulent rien d’autre qu’acheter votre pierre, vous n’avez pas honte ? »
A lire absolument...